Art forestier et promenade automnale en parapluie à 4 roues
C'est une belle journée d'automne. Il revient d'un rassemblement de voitures où l'on n'a parlé que mécanique, puissance et carrosserie brillante. L'homme a envie de se ressourcer.
Il fait soleil se dit-il, pourquoi ne pas profiter de l'une des dernières après-midi de cet été indien? Il a entendu parler d'un endroit extraordinaire digne de la forêt de Brocéliande. On murmure même qu'il s'y passe des choses magiques ! C'est la forêt de Montargis. Confiant, ou intrépide, c'est selon, l'homme n'écoute que son envie et monte dans sa petite auto. Oh, elle n'est pas jeune, mais lui non plus d'ailleurs. Elle n'est pas non plus rapide, mais qu'importe car les temps ont bien changé. Maintenant la vitesse est réduite et rouler vite est passé de mode. Bientôt la voiture autonome remplacera l'automobile que l'on a connue pendant plus de 150 ans.
En bordure de la clairière du lieu dit Paucourt, l'homme s'arrête. Le soleil est presque au zénith, et ses rayons percent le feuillage des chênes. Le silence règne, tout juste troublé par le bruit des glands qui tombent. La rumeur de la ville est ici inaudible. C'est l'heure du repas de midi. Les randonneurs du matin sont déjà rentrés dans leur foyers. Les propriétaires de chiens de traineaux les ont remis dans la remorque. La forêt est toute entière à sa disposition. Enfin, c'est une manière de parler car qui peut prétendre posséder la nature? Tout juste peut-on en avoir la jouissance un court instant.
Soudain, au détour des arbres, deux silhouettes se dessinent. L'homme n'est pas effrayé. Il n'a rien à se reprocher. De quoi pourrait-il bien avoir peur? Deux statues se font face. On les a taillées dans des troncs d'arbres. La sculpture est grossière, mais il doit bien y avoir un message. L'homme s'interroge, sans pouvoir apporter de réponse à son esprit rationnel. Enfin, c'est aussi une manière de parler. On est toujours le rationnel de quelqu'un certes, mais c'est une notion bien relative. Comme lui disait un psy un jour, "je cherche ce qu'il y a de raison dans la folie et de folie dans la raison". On doit pouvoir appliquer le principe au rationnel.
Intrigué par cette découverte, l'homme continue son chemin et trouve rapidement sur sa route une nouvelle silhouette. De dos, la forme est étrange. On dirait un nain qui porte un drôle de couvre chef. Un truc avec des trous sur chaque côté, pour laisser passer les oreilles. Assurément ce n'est pas un humanoïde ordinaire. Un ELF peut-être. Mais cela n'existe pas dans la vraie vie, les elfes. Il n'y a tout de même pas de station service en pleine forêt! L'homme se dit que vouloir rattacher ce que l'on découvre à du déjà vu relève vraiment du manque d'ouverture d'esprit. Il faut certes raison garder tout en faisant preuve d'une TOTAL ouverture d'esprit. Il immobilise sa fragile et fidèle monture et tire le frein à main. Il s'approche pour observer la forme de plus près. Il n'espère pas l'entendre s'exprimer. Assurément, une sculpture en bois ne peut que rester MOTUL et bouche cousue! C'est logique. Il n'y a que les poètes qui font parler ou chanter les objets. Et l'homme n'est pas un poète. Un jour on lui a dit qu'il avait un coté artiste. Il ne l'a pas vraiment cru. L'industrie du caoutchouc n'est pas propice à l'art!
Ce qui surprend l'homme, c'est le sourire du lutin. Il a les yeux baissés et l'expression de son visage laisse à penser qu'il sait quelque chose que l'homme ne sait pas. Rien d'agressif, en tout cas. Plutôt une forme de bienveillance ironique.
Soudain une lassitude se fait sentir. Les feuilles qui tombent des grands arbres couvrent le sol d'une couverture végétale à la couleur d'automne. Il fait doux. Le vent est inexistant à l'abri des arbres. D'ailleurs les feuilles qui tombent planent doucement, comme si elles hésitaient sur leur lieu d'atterrissage. L'homme n'a pas mangé, mais il faut sortir des conventions: une sieste pré-digestive le tente. Et puis quelque chose d'étrange, comme une force qu'il ne peut contrôler, le pousse à s'allonger, le dos appuyé à ce trognon d'arbre taillé. Il n'a pas pris de couverture dans la voiture, mais la température est clémente et le sol asséché par des semaines de sécheresse. Ce n'est pas aujourd'hui qu'il va lui pousser de la mousse sur le corps! Il rit à l'idée de se réveiller avec des champignons tout autour de lui, ou bien de se retrouver nez à nez avec un cochon sauvage en quête de nourriture. La forêt en nourrit de nombreux, mais ce n'est pas l'heure à laquelle ils sortent. Et puis, qui sait qui aurait le plus peur!
A peine installé le sommeil le prend. Ce n'est pas un sommeil profond comme celui de la nuit. C'est un sommeil léger. Pour preuve, il entend comme une voix qui murmure. Comment tendre l'oreille quand on dort. Voila un paradoxe. Une question digne des épreuves de philosophie du bac…. L'homme se dit que même en dormant on peu faire de l'humour. La voix se fait plus précise, plus nette, plus audible. L'homme se concentre. Cela ressemble à une histoire que l'on raconte.
Le géant qui habite dans l’arbre
surveille toute sa vue.
D’en haut il voit l’effort
et il chante avec les oiseaux.
Le géant dans l’arbre
est fort gentil.
Il mange des noix, des fruits et des baies.
Sa meilleure amie,
La chouette qui effraie.
Il la réveille chaque nuit.
« Et réveille toi, Espèce de Noblesse,
Si gracieuse et si sage.
Tu ne dis jamais trop
et toujours exactement ce qu’il le faut
pour convaincre le monde de la forêt,
de s’arrêter pour t’écouter. »
Et le géant de l’arbre que personne n’écoute,
fait inonder la forêt de ses larmes délicates.
Et quand Chouette Effraie revient à son nid,
Et que le soleil se lève sur l’horizon,
Et comme un immense canapé,
il repose ses membres.
En haut des branches,
Il donne de l’ombre à Chouette Effraie,
ensommeillée après une chasse bien satisfaisante.
Chloe Douglas, 2010
L'homme reste dans un état semi comateux. Vous savez, cette sensation de n'avoir ni assez, ni trop dormi, et qui vous paralyse. On est conscient mais on ne peux pas bouger. Il a cependant le ressenti d'être observé. Doucement l'homme émerge.
En effet, une femme le domine de sa stature. Pas de mauvaises pensées! Elle aussi est en bois. Le sculpteur y a mis de la couleur. Ses bras portent des tatouages, à moins que ce soit du véritable lierre. Son regard porte loin, sans expression particulière.
L'homme se lève, enlève d'un coup de main les feuilles collées à ses habits, et se positionne dans l'axe du regard de la statue. Il découvre à un jet de pierres un château fort, perché au sommet d'un promontoire. Il s'en approche.
La porte y est fermée. Chose étrange, le seul moyen d'y accéder semble être avec des ailes. Point de route. Juste un a pic vertigineux qui mesure bien trois fois la hauteur de l'édifice. Il perçoit en sa base un mouvement fluide. Ce sont des mouvements d'ailes. Deux femmes, mi humaines, mi chauve-souris semblent servir de sentinelles. L'une vole, l'autre donne l'impression de vouloir écarter l'écorce de l'arbre. Il revient à l'esprit de l'homme une vieille série télévisée qui mettait en scène une île habitée uniquement par des femmes. Aurait-il trouvé ici la fameuse cité de dames de Christine de Pisan?
Proche de là, l'homme découvre une autre femme, comme murée dans un arbre, et dont la nudité à peine cachée le surprend. Est-ce là une sentinelle? Dans ce cas pourquoi ses yeux sont-ils fermés?
En faisant le tour de l'arbre, il ressent de nouveau l'impression d'être observé. Qui du loup ou de son maître le surprend le plus? L'homme prend soudainement conscience qu'aucun des personnages croisés ne lui a adressé la parole depuis le poème qu'il a entendu dans son rêve. C'est comme si on lui faisait suivre une piste, mais dans quel but? Et surtout, pourquoi la suit-il?
De retour vers la voiture, il découvre une nouvelle sculpture qu'il n'avait pas remarquée avant. Mais un point l'intrigue: ce n'est pas à cet endroit qu'il avait laissé la Citroën! Non, il en est sûr! Elle était restée en haut d'une ondulation. Il avait même cru un instant que, peut-être, la voiture toucherait. En plus, il est sûr d'avoir serré le frein à main. A ce stade plus rien ne l'étonne, mais pourquoi là? Est-ce un message? Pourquoi la voiture est-elle maintenant garée à côté d'un Samouraï? Que vient faire un guerrier Japonais au milieu d'une forêt Gâtinaise? Quel est le rapport entre toutes ces statues? L'homme cherche la logique de ce parcours. Ah, la logique! Pourquoi faut-il toujours trouver une logique aux choses? Oui mais quand même, les choses n'arrivent pas par hasard!
Pendant tout ce temps, le soleil a un peu tourné. L'homme tombe face à face avec un muguet géant. Il regarde la sculpture, réfléchit, et son visage s'illumine. Il a compris le sens de tout cela! Le muguet est synonyme de porte bonheur! Si, comme disaient certains, le bonheur est simple comme un coup de fil, l'homme traduit en:
"Le bonheur c'est simple comme une balade en 2CV"
Le téléphone sonne. Groggy, l'homme sursaute. Il réalise qu'il s'est endormi, dans le garage, assis sur la banquette moelleuse de la 2CV. Il l'avait sortie de la voiture pour mieux la nettoyer. La sieste n'est-elle pas bénéfique pour la santé?
Faut-il toujours chercher du sens à tout?
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